
Plage au Pyla-sur-Mer, Bassin d’Arcachon, Gironde (33). En arrière plan : la Dune du Pilat. © Sylvain Olivri
Amis parisiens, cet article est pour vous. Vous qui rêvez ou envisagez parfois sérieusement de quitter Paris pour la « province » (à toujours bien mettre entre guillemets hein, je vous ai à l’œil), la nature, le calme, la qualité de vie tout ça… Il faut que vous ayez tout de même conscience d’une chose : la vie est clairement plus douce ici MAIS, au début, ça peut tout de même faire un choc. Je vous explique pourquoi au travers de mon expérience personnelle (et professionnelle) en Gironde, près de Bordeaux, sur le Bassin d’Arcachon.
Aujourd’hui c’est mercredi. Il est 9h du matin quand je m’installe derrière mon écran à mon poste de commande. J’ai rendez-vous pour le boulot dans le centre de Bordeaux à 11h30. Ca n’a l’air de rien comme ça, mais il s’agit pourtant bien d’une mission que j’avais nettement sous-estimée. Nom de code : « espérance kamikaze ». Anciennement résidant de cette chère et tendre banlieue de Paris, j’ai la chance d’habiter depuis peu à Gujan-Mestras, sur le Bassin d’Arcachon, en Gironde (33) à une cinquantaine de kilomètres de Bordeaux. Pour être à l’heure à mon rendez-vous, plusieurs solutions s’offrent à moi.
Direction Bordeaux en voiture ?
45 minutes sans bouchons (entre minuit et 6h du matin), sinon entre 1h et 1h30. Bordeaux est célèbre pour ses fréquents embouteillages sur la rocade (le périph’ pour traduire en parisien) et dans le centre, surtout en raison des nombreux et constants travaux. Bordeaux se développe en effet à vitesse grand V. Ou, à vrai dire, à vitesse TGV. Particulièrement attractive et dynamique depuis les années 2000, Bordeaux attire de plus en plus d’habitants, dont une bonne partie de parisiens, surtout depuis que Paris est à 2h de TGV. Cette histoire est connue comme le loup blanc ici. Flambée des prix et tutti quanti. Donc à Bordeaux on circule mal. Sans parler des galères pour se garer. Sur ce point, Bordeaux c’est pas beaucoup mieux que Paris. Parfois pire.
En scooter (mon cas) ou à moto ?
Pas en-dessous de 125 cm3 hein ? Sinon c’est dangereux. En 125, c’est déjà limite étant donné qu’on parle de 30 minutes d’autoroute non-stop pour gagner le centre de Bordeaux. A fond. Un régale pour les oreilles. Fatiguant et stressant dès qu’on s’approche de la grand-ville, où il s’agit de remonter la file entre les voitures dans les bouchons. Comme à Paris quoi. Sauf que là c’est sur plus de 100 kilomètres aller/retour. Bien penser également à la météo capricieuse du Sud-ouest. C’est ici que j’ai vécu les pires orages et tempêtes de ma vie. En témoigne, la tempête Amélie (des vents de 150 km/heure et des vagues de 9 mètres) passée par là le week-end dernier. Par les petites routes ? Ajoutez 30 minutes et plus de danger. Trajet pas spécialement passionnant entre les pins et les pins. Quelques villes et villages à traverser pas beaucoup plus fun. Bof…
Et le vélo ?
Oublie. C’est trop loin. A moins d’être un vrai cycliste (au sens sportif du terme) et de pouvoir prendre une douche à l’arrivée. Sans parler du temps de trajet décuplé…
Alors en train ?
C’est le choix que j’ai fait aujourd’hui. Vu la météo (pluie et 50 kilomètres par heure de vent), j’aurais bien pris la voiture mais ma compagne en avait besoin pour emmener le petit à la Capoeira. On est mercredi. Côté tarif, quand on ne prend le train qu’occasionnellement, c’est 20 € aller/retour. A ce prix là, on peut y mettre son vélo. C’est ce que j’ai fait. A 9h30, pensant être large, je regarde les horaires. Trajet Gujan – Bordeaux Saint-Jean en 45 minutes. Prochain départ de Gujan à 9h45. Le suivant, à 10h45, me ferait arriver en retard au RDV. Compter, en plus du train, 15 minutes de tramway, sans compter les correspondances à pied et l’attente. Au total, le trajet porte-à porte c’est 1h30 à 1h45. J’emballe donc mon ordi dans mon sac à dos en urgence, je détache le vélo de la remorque du petit et je fonce à la gare.
Pas de cerveau, mais deux jambes
Dans la dernière ligne droite, la gare en vue au bout de la rue, je vois un premier train arriver puis le second dans l’autre sens. J’accélère, pensant être déjà battu (avec un fond d’espérance), et je rentre dans le train encore assis sur mon vélo, limite en dérapage contrôlé. Façon beau gosse à la dernière minute. Je jubile. Jusqu’à ce que le train démarre, en sens inverse, direction Arcachon. Chiotte. Je fais comme si c’était calculé. J’attends le prochain arrêt à la Hume (pas trop loin, on est encore à Gujan) pour descendre. Bon… Réunion avec moi-même dans ma tête. Quel est le plan B ? Un train dans l’autre sens ? Comme je l’ai déjà précisé, il passe une heure plus tard et je serai en retard. Reste à enfourcher mon vélo et rentrer à la maison à toute blinde pour y aller en scooter. Pas le choix. Je mettrai un K-way et je serrerai les dents.
4 kilomètres et 15 minutes plus tard, j’arrive à la maison, en sueur, je m’approche du garage et je sors mes clés. Et là, je bloque sur place. Chiotte bis. Dans l’urgence du départ, je n’ai pas pris les bonnes clés. Je suis coincé dehors. Après avoir fait le tour de la maison, sans trop y croire (mais avec un fond d’espérance), je comprends que je peux oublier l’option scooter. Je serai donc en retard à mon rendez-vous. Pas grave. Dans le Sud-Ouest, on est plus cool là-dessus. Un petit SMS pour prévenir tout le monde et je peux enfourcher mon vélo à nouveau, direction la même gare que tout à l’heure, toujours à Gujan. Temps perdu estimé pour l’instant : 30 minutes. C’est pas méchant. Maintenant je suis à la cool. Je vais m’installer au café de la gare, « Le Pégase », tranquilou, en attendant mon train. Cette fois-ci la balade est bien plus agréable et moins sportive. Le paysage citadin a juste un petit air de déjà vu : les immeuble ne font pas plus de 3 étages, ainsi les nuages sont toujours bien visibles, un brin menaçants mais pas trop.
Rencontre avec le Bassin
Je gare le vélo devant le gare et je m’installe au comptoir du Pégase, pour la première fois depuis mon arrivée sur le Bassin d’Arcachon. Le genre de café/bistrot PMU qu’on connaît tous plutôt bien. Je commande un café et reste debout avec quelques « piliers de comptoir » traditionnels et forts sympathiques, qui racontent des histoires de tous les jours. Personnellement, j’adore ça et je me marre bien, en échangeant quelques sourires complices. J’ai surtout apprécié « le capitaine » (dixit la tenancière derrière le bar), installé au bout du comptoir dans un coin, à l’entrée. Pas causant. Mais son visage marqué par les décennies en mer, sa belle barbe blanche et sa casquette de marin en font un cliché de rêve pour tout ex-parisien en mal d’aventures maritimes et de vraies rencontres. Il sourit quand je croise son regard. Je ne le connais pas mais je l’adore déjà et me promets de revenir un de ces jours pour faire connaissance, quand je n’aurai pas de train à prendre.
C’est l’heure. Je récupère mon vélo et je prends le train dans le bon sens. J’en profite pour bosser sur mon ordi durant tout le trajet. Pénard. Les maisons en bois défilent. Quelques superbes villas avec piscines, des cabanes typiques hors-de-prix et d’autres clairement moins luxueuses, presque abandonnées, appuyées comme à une canne contre la voie ferrée. Parfois on peut même voir un petit bout de Bassin au loin, vision fugace d’un paradis qu’il faut prendre le temps de découvrir à pieds ou à vélo : le sport local incontesté.
Bordeaux
A bordeaux, je branche le GPS de mon smartphone et c’est parti. Je vais longer les quais jusqu’à la petite agence digitale bordelaise où j’ai rendez-vous. La balade promets d’être sympa. Mais il pleut. Chiotte (encore). Je mets ma capuche et j’enquille les vitesses, essayant de deviner la piste cyclable comme je peux derrière les gouttes qui restent bêtement agrippées à mes lunettes. J’arrive à ma destination sans encombres mais un peu en vrac. Mouillé et complètement décoiffé, mes yeux à peine visibles derrière les verres bleutés de mes lunettes anti-lumière bleue. Je fais mon petit effet. Finalement je n’ai que 15 minutes de retard. Je me suis stressé pour rien. Tout le monde a le sourire. Accueil chaleureux.
La réunion se passe très bien. L’agence se trouve au coeur du quartier très sympa des Chartrons. Petite équipe très sérieuse et compétente. Le tout dans un décor atypique, un ancien chai, comme on les aime bien dans ce genre d’agences. Ca me rappelle des souvenirs… On avance bien sur ce projet de jeu concours en ligne pour un « gros client » dans l’agriculture. Pour eux, le fait que nous bossions à distance depuis la Gironde ne pose aucun problème. On enchaîne avec un burger dans le pub d’à côté tenu par un anglais. On dirait un bordelais qui tente de se faire passer pour un londonien de naissance. Les burgers sont excellents. Je consulte sur mon smartphone les horaires pour le train retour. 13h30 pour le prochain. Il est 25… Le second est donc à… ? 14h30. Bravo ! Vous suivez. J’ai donc tout le temps pour finir mon repas et rejoindre la gare en vélo par les quais. Cette fois je ne me ferai pas avoir. Tranquillement mais sûrement.
Pour le retour, j’ai du bol : le soleil brille. La balade est cette fois vraiment plaisante sur les bords de la Garonne. Des skaters s’aventurent sur le Skate Park Colbert encore trempé, à leurs risques et périls, des touristes jouent aux amoureux sur le Miroir d’eau, un beau bateau est ancré à quai et les tramways m’empêchent de flâner librement mais on s’en fout. Le tram’, c’est cool. Je fais du vélo sans les mains et je souris.
Mon Bassin
Arrivé à la gare Saint-Jean, je me dirige directement vers le quai habituel, tout au bout à l’Ouest. C’est toujours ici que je prends le train retour pour Gujan. Sentiment de privilège. Impression de chance. Je quitte la ville pour retrouver ma « campagne » et surtout MON Bassin. J’ai envie de croire que j’ai toujours vécu ici et que je n’ai pas perdu 40 ans de ma vie à habiter une banlieue sans intérêt qui rêve que Paris la mange tout cru. Le fameux « Grand Paris ». Avant, le samedi j’emmenais mon fils au petit square dans lequel un arbre centenaire nous faisait notre coin de nature. Parfois on poussait jusqu’au parc et ses petites collines, un étang bucolique, la Seine ou l’Oise. Maintenant, le samedi je vais à la plage. Le plus dur c’est de choisir laquelle. Celle du port de Larros, en vélo, slalomant entre les cabanes des ostréiculteurs ? Celle de la Hume un peu plus loin, notre fief ? Perreire (à Arcachon) et ses promenades fabuleuses au coucher de soleil, face au Cap Ferret ? Le Pyla, tout près de la Dune ? La Salie et ses spots de Surf ? Biscarosse à peine plus loin ? Ou alors carrément le lac de Cazaux ? Le grand calme, l’eau turquoise jusqu’au hanches même à 500 mètres de la plage et ses petites cabanes confortable pour manger un bout. Le paradis je vous dit.
Temps perdu estimé inestimable
Perdu dans mes pensées sur le quai, je crois reconnaître une huître dans les nuages. Mon train a 10 minutes de retard. Pas grave. On n’est pas pressés. Smartphone. E-mails. Un message dans le haut-parleur de la gare nous signale qu’il aura finalement 25 minutes de retard, puis 30, puis finalement 35 quand les rails sifflent enfin sous la pression des wagons. Hum… Vous savez, la fameuse tempête Amélie… La météo capricieuse du Sud-Ouest… Les pins en travers de la voie… Temps perdu estimé jusqu’ici ? Je ne compte plus. Pour un rendez-vous d’une heure (et un excellent burger), je suis parti à 9h30 et rentré à 16h. Faites le calcul. Avant, à Paris, j’aurais enragé pour trois fois moins que ça. Maintenant, ici, je souris, j’empoigne mon smartphone et je commence à vous raconter cette histoire, confortablement calé dans mon train, direction Arcachon.
Pour ceux qui n’auraient pas bien compris la finalité de cette petite histoire un peu longue, sachez que je ne regrette en rien le choix qu’on a fait en famille il y a presque deux ans quand on a enfin décidé de bouger nos fesses et faire en sorte que cette envie qui démange, quitter Paris et (re)vivre enfin, se transforme en réalité. Si vous avez bien lu entre les lignes vous avez déjà compris pourquoi. Mais que je préfère vous prévenir, vous qui hésitez, vous les parisiens embrumés qui rêvez de voir enfin l’horizon, vous les citadins endurcis qui choisirez sans doute, comme nous, de ne pas vous installer trop loin d’une grande ville. Je préfère vous prévenir que ce n’est pas toujours rose, ni vert, ni bleu. Il y a un peu de gris et de pluie aussi. Des bouchons et des trains en retard. Il faudra vous adapter et vous ouvrir. Alors seulement le Bassin vous ouvrira grandes ses portes.
Bonsoir,
J’ai aimé votre article qui montre bien que tout n’est pas rose une fois parti de Paris mais on a tellement a y gagner en qualité de vie avec notre famille. J’ai moi même fais le grand saut de La région parisienne vers le Pyla et j’avoue que pour rien au monde je ne changerais. On dis souvent que les Parisiens (les gens d’ile de france) ne sont pas aimables mais sur le bassin il n’y a pas que des gens agréables c’est comme partout. Et niveau conduite il faut faire attention ici aussi on roule vite. Après lorsque l’on y va dans l’optique d’en profiter avec sa famille on arrive à se faire des amis si si tout le monde n’est pas contre les gens du Nord . Bonne continuation. José
Bonjour José. Merci pour ce sympathique message. Pour aider les Girondins à ne pas trop détester les parisiens qui les « envahissent » (dixit ma conseillère Pôle Emploi à mon arrivée / true story), il faut faire le premier pas, être ouvert et patient, positif… Leur montrer qu’il n’y a pas que des cons à Paris. Surtout, si on vient ici, c’est qu’on aime leur pays. Partant de là est-ce qu’on peut vraiment être con à 100% ? Après, il faut aussi comprendre que notre attrait pour ce beau pays fait clairement monter les prix de l’immobilier. Là-dessus je me mets à leur place. C’est frustrant. Moi le premier. Actuellement en location, je cherche à acheter sur Gujan et les prix sont invraisemblables. Plus cher que dans le 95 où j’habitais auparavant. Je vais peut-être devoir m’éloigner un peu du Bassin. De mon côté je n’ai pour l’instant rencontré que des gens fabuleux sur le Bassin (à part ma conseillère Pôle Emploi). Je n’exagère pas. Pourvu que ça dure.